Iphonographie : développement à la créativité ou produit de consommation ? (Partie 5 – Conclusion)

Cette partie aura l’utilité de proposer une première conclusion face à l’iphonographie. Elle n’apportera aucune réponse mais proposera peut-être de nouveaux questionnements face à ce média photographique de plus en plus présent dans nos vies.

Il faut garder à l’esprit que quelque soit l’outil utilisé, celui-ci ne remplacera jamais une véritable démarche photographique.

Iphonographie : facteur de créativité ?

A la première approche, il convient de dire que les applications apportent un rendu assez bluffant. Un premier contact fait sourire et on se prend vite au jeu de notre « nouveau jouet ». Cela est esthétique, coloré et le plaisir est au rendez-vous.

Après plusieurs utilisations, les nombreux effets peuvent devenir une tare, un bagage encombrant qui essaie d’imiter un rendu argentique. C’est assez amusant de se dire que cette photographie portative, technologiquement en train de rentrer dans nos vies comme une évolution numérique, essaie de revenir au fondement de la photographie argentique !

Comme chaque outil ou logiciel de retouche, les premières envies sont d’exagérer les effets. Cela transforme donc votre cliché en une image pesante aux effets répétitifs. La chance des applications aléatoires peut réserver de bonnes surprises mais il faut rester honnête, la chance ne vous permettra pas de créer une véritable série cohérente qui fera de vous un photographe.

Photographie à mon domicile

Je trouve que l’exemple de Damon Winter est une bonne première référence. Dans l’article précédent, nous avons découvert le travail de ce photographe qui a utilisé un iPhone et l’application Hipstamatic pour réaliser un reportage sur les soldats américains en Afghanistan. Les photographies sont justes et les effets pas du tout exagérés. Il a travaillé les rendus avec parcimonie et savait au préalable comme utiliser son outil !

Cette notion de connaissance de son appareil et de son application me semble primordiale pour entrer pleinement dans votre créativité. Obtenir des rendus de Polaroid ou créer des effets de panoramique sans un quelconque cadrage ne sont que de la poudre aux yeux et ne vous fera pas du tout avancer dans votre vie de photographe. C’est comme si un professionnel de la photographie de mode arrive pour une séance photo avec des modèles sans connaître son matériel et ce qu’il désire avoir comme rendu.

L’aléatoire n’a qu’un temps. Une connaissance de son matériel et une véritable démarche pensée font la différence avec l’utilisateur occasionnel. Tout le monde peut prendre des photos mais tout le monde n’est pas photographe.

Il faudra passer par le réglage de l’application pour que celle-ci puisse donner une photographie au rendu maximum

Toute la panoplie du créateur est devant vous alors où est l’originalité ?

L’iphonographie est avant tout un endroit où prime l’imitation et la (sur)consommation. Il ne faut pas se leurrer avant d’être un outil, c’est avant tout une nouvelle manière de dépenser son argent.

Dans un premier temps, les multiples applications nous promettent et nous font croire que nous sommes de véritables photographes / artistes.

D’un point de vue technique : Est-ce que copier une manière ou un rendu serait-il une véritable source artistique ? Ce débat existe depuis l’invention de la photographie. Deux écoles s’affrontent entre les puristes du « On ne retouche pas ! » et ceux qui se disent « Que la retouche existe depuis la naissance de la photo tant qu’elle reste au service d’une démarche« .

Et c’est là que le bas blesse car la grosse majorité des photographes ne sont que dans une imitation d’un rendu. Avec un logiciel de retouche, nous pouvons dire que le photographe est encore maître de ses retouches mais lorsqu’une application réalise tout ce cheminement à notre place, comment différencier nos rendus des autres ? Comment donner notre patte à un cliché pour qu’il soit un reflet personnel ? Comment reconnaître X de Y au final ?

Série « Depth of Field » – David Guttenfelder

La démarche et le cadrage feront de vous de vrais pionniers photojournalistes ?

Je pense que le noeud est ici. C’est en pensant sa démarche et jouant sur son cadrage que la différenciation se fera par rapport à la masse grouillante des utilisateurs lambda.

Comme cité plus haut, Damon Winter est un exemple. Utilisateur d’un reflex, il a choisi son iPhone au service de son reportage car sa démarche voulait être dans le quotidien des soldats. Son iPhone lui a permis de les suivre, de les photographier sans que ceux-ci soient en alerte chaque fois que le journaliste sort son gros reflex. Les rendus sont contrôlés par l’auteur avec une teinte verdâtre uniforme à la série.

David Guttenfelder est un autre exemple que l’outil est au service d’une véritable démarche. Il a réalisé un reportage en Afghanistan depuis 2001 et utilise à certains moment un iPhone et un unique filtre Polaroid. Sa série iphonographie se nomme « Depth of Field« .

Cadrage et réflexion doivent être au coeur de l’iphonographie ?

Les outils et les rendus sont identiques pour tout le monde mais c’est l’angle d’attaque visé qui permettra de sortir des millions d’imitations sans intérêt que l’on retrouve à la pelle.

En observant le travail de Damon W. et David G., les rendus ne sont pas exagérés. Ils ne sont pas poussés au maximum et ne sont pas décalés. Les effets choisis sont sobres tout en apportant une petite touche légère. Par contre, les séries photos sont véritablement pensées et les clichés entre dans une phase narrative propre au photojournalisme de qualité.

Et pour les photographes qui ne sont pas journalistes ?

Je pense que l’iphonographie est à portée de tous. Réaliser une série pensée n’est pas une chose en soi difficile. L’accessibilité des outils ne signifient en rien qu’ils sont des jouets inutiles.

Une série cohérente n’est pas synonyme de photojournalisme. La création d’une vision sur les heures de pointes dans les métros européens ou dans son quotidien est une idée parmi des millions d’autres.

Qualité ne rime pas avec quantité. Même si nos clichés sont attachés à un sentiment, nous devons faire des choix pour que nos photos se parlent entre elles pour gagner une nouvelle force. Mais ce débat n’a plus rien à voir avec l’iphonographie au final !

Une mode ?

Le rendu de l’iphonographie dépend des applications utilisées. Tout comme le Holga ou le Diana, je crains que le rendu des clichés nous lasse avec le temps. Comment sortir de ce cycle ? C’est là que l’on devra être créatif !

Dans un effet de mode, ce sont les premiers qui tapent au bon moment qui seront mis en valeur. Après, le risque est d’être déjà démodé. Après réflexion, cela devient démodé quand nous situons notre travail dans la construction d’une mode mais dans une démarche personnelle peut-on parler de mode photographique ?

Le regard et la démarche priment sur le matériel utilisé. Pour construire une démarche, il faut du temps et de la patiente. Le matériel ne remplacera jamais l’oeil du photographe.

Philippe Reale – Application IncrediBooth

Les différentes parties proposées dans ce dossier

5 réflexions sur “ Iphonographie : développement à la créativité ou produit de consommation ? (Partie 5 – Conclusion) ”

  1. Je suis assez d’accord avec ta conclusion. Personnellement, je trouve cette « tendance » assez ridicule (je sais c’est un mot fort) … au fond du fond, qu’est-ce qui fait la différence ? L’oeil, tout simplement, c’est toujours la même chose depuis que la photographie existe … que nous utilisions un iphone ou un DSLR ou un Leica M3 ou un pola, une photo sera « bonne » (pour peu que cela veuille dire quelque chose) si elle est murie avant d’être prise et qu’elle sert une vision précise voulue par l’auteur. L’appareil utilisé importe au fond bien peu.

    Ce qui me gêne avec cette mode est que l’on défini la photo par le procédé utilisé. Ca me rappelle un peu, dans un autre genre certes, tous ces commentaires qui fleurissent sur les forums et réseaux types Flickr et qui tendent à parler de « Bokeh » par ci « Bokeh » par là … c’est ridicule (à mon sens, évidemment). Le Bokeh n’est pas une fin en soit et fait encore moins à lui tout seul une bonne photo … ce serait trop simple, on achèterait alors tous un objo ouvrant à 1.4 et on shooterait comme des bourrins des feux tricolores la nuit à 1.4 … « WOW superbes photos ! Quel Bokeh » …

    Tu mentionnes le cas du Holga/Diana mais pour moi, il faut les mettre un peu à part. Le Holga/Diana peut être intéressant en ce qu’il oblige à se mettre dans une philosophie particulière ; celle de l’accident. L’appareil est ici un outil et rien d’autre mais il sert une vision très particulière de la Photographie. Non ?

  2. Bonjour Ivan,
    Comme tu le dis si bien, et je partage ton avis sur le sujet, c’est l’oeil qui fait la différence évidemment. Maintenant, tu as mis les mots justes en stipulant que la définition d’une photographie prise avec un nouveau procédé n’est plus une photographie mais une « iphonographie ». Comme si l’appareil avait dénaturé ou encensé le principe même de l’image.

    En ce qui concerne le Holga, il est vrai que l’on ne parle pas de « Holgagraphie » mais même si la philosophie joue sur l’accident, je veux mettre l’accent sur l’effet de mode (bien qui s’essouffle en ce moment) et non pas l’appareil en temps que tel.

    Après mode ou pas, je pense qu’une série vaut mieux qu’une belle image comme on en trouve des millions sur « google images » et qu’une démarche (avant ou après prise photographique) est le principe même de l’acte photographique pour moi. L’outil importe peu donc :) Qu’en penses-tu ?

Laisser un commentaire